Il y a dans mes matins cette gravité étrange, une épaisseur d’air qui retient chaque pensée avant même qu’elle ne devienne mot. À l’aube, mon corps ressemble à une page froissée qu’aucune main ne parvient à lisser complètement. Les draps me gardent prisonnière, complices silencieux d’un poids que personne ne soupçonne. On dirait qu’un océan entier sommeille dans mes membres, une mer invisible, lourde et sans courant.
Le monde, là-dehors, s’agite à une vitesse qui me dépasse. Les rires des autres éclatent comme des feux d’artifice trop lointains. Je les regarde, assise derrière ma vitre intérieure, et j’envie leur légèreté, leur insouciance de brise. Chaque tâche simple devient une épreuve, comme gravir une montagne interminable dont les pentes s’effondrent sous mes pas. Je souris pourtant, souvent, pour ne pas déranger, pour donner le change, mais à l’intérieur, les rides de la lassitude tournent lentement, creusent des sillons imperceptibles sur l’âme.
Étrangement, le silence devient mon refuge : il est moelleux, profond, un cocon dans lequel je me roule quand le bruit du monde me blesse. Dans ce silence, je perçois le battement sourd de mon épuisement, mais aussi — parfois — la pulsation ténue d’une volonté ; une lumière vacillante surgit dans la tempête grise. Un espoir d’être, malgré tout.
Parfois, les souvenirs de jours sans entrave viennent effleurer ma mémoire, juste assez pour raviver la nostalgie et la tendresse : les courses folles dans l’air, les rires sans détour, la sensation vive de la force dans les bras. Ils s’éloignent ensuite, laissant une traînée douce-amère, mais m’offrent aussi une raison d’attendre, de patienter.
Car la fatigue chronique n’est pas simplement le manque d’énergie, c’est le vol invisible de l’évidence. Elle rend flous les contours de la joie, elle dilue les couleurs vives du quotidien. Pourtant, dans l’ombre de cette lassitude, grandit une patience farouche, et parfois une bonté nouvelle surgit, aussi, envers soi-même : accepter ses limites, apprivoiser la lenteur, s’émerveiller d’un petit progrès, d’un matin moins gris, d’un rire qui fuse malgré tout.
Sur le fil tendu entre résignation et espoir, je marche, un pied devant l’autre, certains jours à la vitesse d’une étoile filante, souvent à celle d’un escargot fatigué. À ceux qui comprennent, je tends la main. Aux autres, j’offre mon silence, pareille à une mer calme que le vent n’atteint plus vraiment.
Et chaque soir, quand la nuit retombe, je m’endors avec la promesse fragile que demain portera peut-être un peu de clarté supplémentaire, une poussière d’énergie dérobée à l’invisible. Car au cœur même de la fatigue chronique, la vie pulse, ténue mais indomptable, et — dans l’attente patiente du renouveau — je demeure, simplement.
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