Chaque homme doit se dire : J’étais le Créateur, puissé-je le redevenir !
Les Védas.
Jésus leur repartit : N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit que vous êtes
des dieux ?
ST Jean, chap. X.
L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.
A. De Lamartine.
Je suis ; le monde existe, et quoi qu’on puisse dire,
A moins que mon esprit ne fût dans le délire,
Je ne douterai pas de ces deux vérités.
Il est triste de voir des hommes entêtés
A vouloir démontrer l’évidence et de rage
De n’y point réussir, la nier. Il est sage
De ne pas contester que quelque chose soit
Sans démonstration. Ce quelque chose doit
Servir à démontrer le reste : la logique
Veut un point de départ. Ce point, cela s’explique,
Précédant tout, ne peut avoir de précédent.
Donc je suis, le monde est, et je marche en avant.
Dans le monde je vois le minéral, la plante,
La bête, et gravissant cette échelle ascendante,
J’arrive à l’homme ; en lui je trouve la raison
Qui fait de lui le roi de la création.
L’animal a l’instinct, même l’intelligence,
La plante l’organisme, et la simple adhérence
Est chez le minéral ; l’homme résume tout ;
Il veut tout pénétrer, arriver jusqu’au bout,
Monter, monter toujours, dans son ardeur extrême ;
Savoir ce qu’est le monde et ce qu’il est lui-même ;
S’ils sont fils du hasard ou bien enfants de Dieu ;
Si l’atome tournant dans l’immense milieu
Les fit sans le savoir, ou s’ils eurent pour père
Un être intelligent qui voulut bien les faire ;
S’il est un bien, un mal, si de l’autre côté
Se trouve le néant ou l’immortalité.
Ainsi, sans paix ni trêve, une force invincible
Le pousse à s’occuper du problème terrible,
De l’univers, de Dieu, de l’être, du néant,
De substance, de fond, de forme, d’accident.
Il faut qu’il sache enfin du démon ou de l’ange
Lequel des deux l’attend au sortir de son lange ;
S’il doit fouler du ciel les sentiers radieux,
Ou bien du sombre enfer les gouffres odieux.
Il a raison : c’est là l’affaire principale ;
Aucune, en importance, à mon sens, ne l’égale.
Mais il faut, pour atteindre au but tant convoité,
Procéder avec ordre, avec simplicité ;
Consulter la raison froide, attentive et lente,
Et non la fantaisie enthousiaste, ardente ;
Bien définir d’abord : avant tout la clarté ;
Le vrai vit de lumière et non d’obscurité.
Loin de suivre cet ordre, en des efforts suprêmes,
Entassant follement systèmes sur systèmes,
Ossa sur Pélion, espérant y voir mieux,
Dans sa marche en avant, l’homme a fermé les yeux.
Pour des réalités prenant les apparences,
Changeant les attributs, les modes en substances,
Faisant du néant l’être et de l’être un néant,
Dès lors il est allé dans l’ombre se heurtant
A des fantômes vains, absurdes, à l’espace,
A l’infini, croyant au multiple qui passe,
Niant l’un éternel, se nourrissant de mots,
Sans savoir s’arrêter à ce sage propos
De s’abstenir, prudent, devant l’inexplicable,
De ne prétendre point à sonder l’insondable.
Procédons autrement. Voyons, il est un tout.
Au-delà de ce tout, il n’est rien, et le bout
Existe quel qu’il soit. Donc c’est une chimère
Que l’espace infini : la conséquence est claire,
Elle porte plus loin : l’infini n’est en rien,
Car il exclut le tout, que l’on s’efforce en vain
De comprendre, il est vrai, mais que force est d’admettre
Ou bien à la partie il faut refuser l’être,
Tout nier, et le monde et soi-même. On admet
Le composé, le nombre, et pourtant on voudrait
Nier le composant, puisqu’on fait la matière
Divisible sans fin. Si l’unité première,
L’atome ou la monade est un pur être abstrait,
La base manque au monde, il croule, il disparaît.
Mais l’atome qu’est-il ? D’où vient-il ? De lui-même,
Du rien ou de Celui qu’on nomme Être-Suprême ?
Fit-il, sans le savoir, le monde ? Inconscient,
Est-il le créateur de l’être intelligent ?
Si Dieu le fit, prit-il dans sa propre substance,
Ou bien demanda-t-il au néant son essence ?
Le néant n’étant rien ne saurait rien donner,
Car rien ne vient de rien pour qui veut raisonner.
Rien ne retourne à rien non plus ; dès lors l’atome
Devrait être éternel. Mais on ne voit pas comme,
Sans sentir, sans vouloir, sans comprendre, il aurait
Créé l’être qui sent, comprend et veut, et fait
L’univers dont le plan confond l’intelligence
La plus vaste, et qu’il faut admirer en silence.
Non, cela ne se peut ; l’Intelligence doit
Avoir créé le monde et tout ce qu’on y voit
De matière ou d’esprit, osons le reconnaître.
L’Intelligence est Dieu. Mais Dieu que peut-il être ?
Est-il un être à, part, isolé, sans rapports
Avec l’âme sentante et l’élément des corps ?
Ou bien faudrait-il voir en eux trois apparences,
Trois états d’un même être, et non pas trois substances,
Trois êtres différents ? C’est une question
Qu’il nous reste à traiter, et sa solution
Nous donnera le mot de l’énigme suprême.
Le même seul est apte à connaître le même,
A dit l’antiquité : deux êtres différents
Ne sauraient l’un sur l’autre agir en aucun sens.
Pour qu’en tout son éclat le vrai puisse apparaître,
Ajoutons : l’être doit être identique à l’être.
Peut-il être, en effet, moins un tiers, moins un quart,
Ou bien posséder l’être et de plus une part ?
Il est entièrement ou pas du tout ; l’étude
Nous convainc que de l’être il a la plénitude
Ou bien qu’il n’en a rien. Le simple est donc parfait,
En puissance du moins, sinon en acte, en fait.


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