Pouvez-vous bien penser que nous n’aimons pas mieux
Vivre dans notre sphère et dans notre milieu,
Où tout est en rapport à l’état de notre âme ;
Où notre vie s’écoule agréable et si calme ;
Où nos moindres désirs, nos plus petits souhaits,
Sitôt qu’ils sont conçus, sont aussi satisfaits ;
Où tout est distraction, plaisir, enchantement ;
Où l’on ne connaît plus la mesure du temps,
Où l’on est bien heureux, ayant tout en commun,
S’entraidant et vivant : un pour tous, tous pour un ;
Que de descendre ici dans pareille galère,
Où tout nous incommode ; où la propre atmosphère,
Est impropre à nos corps, nous faisant éprouver
De violentes douleurs, difficiles à braver :
Où le choc des passions produit une tourmente
De fluides très épais ; où chacun se lamente,
Se désole et gémit ; où, partout, l’on entend
Des murmures, des plaintes et des gémissements ;
Où la discorde règne en complète maîtresse ;
Où toujours les puissants écrasent la faiblesse ;
Où nul ne sait donner, même du superflu ;
Où le vice partout étouffe la vertu ;
Où toutes les passions se donnent libre essor ;
Où le souverain bien est posséder de l’or,
Non point pour soulager, secourir son semblable,
Pour apaiser la faim ; mais dans le but coupable
De garder ses richesses, d’en faire ostentation,
Et de mieux établir sa domination ;
Où les plus grands tyrans ont les plus beaux trophées,
Où les cris des petits sont sans cesse étouffés ;
Où privés d’harmonie, de concorde et d’amour,
Les hommes se déchirent comme de vrais vautours.
Où ceux d’entre eux ayant quelques bons sentiments
Sont partout sacrifiés, victimes des méchants ;
Où le mensonge, enfin, et la haine ennemie
Recouvrent la vertu de leur noire infamie.
Croyez-vous donc, amis, qu’un pareil spectacle
Soit digne d’intérêt ? Que le vil réceptacle
De semblables horreurs, de telles iniquités,
Puisse exciter beaucoup à venir l’habiter ?
Si, donc, nous y venons, ce n’est point pour nous-mêmes,
Car, le lieu n’est pas bon. Il faut que l’on vous aime
D’un amour bien puissant ! Convenez avec nous,
Que votre triste terre n’a rien qui soit bien doux,
Qui soit bien agréable ; que, pour nous divertir,
Et passer notre temps, nous aurions pu choisir
Un séjour bien meilleur ; car, il n’en manque pas
Des terres dans le ciel ayant plus beaux appas !


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