Sur la prairie en pleurs la nuit tombait brumeuse ;
Le grillon vers son trou cheminait pas à pas ;
Bientôt tout s’endormit dans la vallée ombreuse ;
Les taupes d’alentour seules ne dormaient pas.
La troupe trépignait… la plus digne par l’âge,
Lentement éleva ses pattes vers les cieux,
Inclina son front soucieux,
Et, tout à coup, grimpant sur un tas de feuillage,
Prononça ce discours : « Les carottes, les choux,
L’herbe tendre, mes soeurs, ne poussent plus pour nous ;
Nous faudra-t-il bientôt errantes, fugitives,
Laissant à l’ennemi notre antique manoir,
Tristement fouiller d’autres rives ? »
Ces mots furent suivis d’un cri de désespoir.
Elle reprit ainsi : « J’en ai la mort dans l’âme,
Mais notre vigilance a découvert l’infâme ;
Figurez-vous, mes soeurs, un animal sournois,
Affamé, des rongeurs le pire,
Un lapin, puisqu’il faut le dire,
Jusque dans nos jardins rôdant en tapinois ;
On l’a surpris mangeant la dernière laitue !…
Malheur !… » Et tour à tour furieuse, abattue,
La foule répétait : « Les carottes, les choux,
L’herbe tendre, mes soeurs, ne poussent plus pour nous.
Que le ciel trouve en nous un instrument docile,
Dit la Reine, à l’instant formons-nous en concile. »
Tu voudrais bien savoir ce qu’on délibéra,
Cher lecteur ; rien n’en transpira.
Seul, un renard prétend,
— et j’incline à le croire,
— Que les dames à robe noire,
Doucettement, sans bruit, jusqu’au trou du lapin
Se creusèrent, sous terre, un tortueux chemin ;
Puis, pendant son sommeil, accablé par le nombre,
Le lapin fut exécuté.
Le moyen de frapper un ennemi dans l’ombre,
Les taupes, à coup sûr, ne l’ont pas inventé.


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